Accord de libre-échange avec les États du Mercosur: la filière suisse de la viande est sceptique
Objet et finalité du Mercosur
Mercosur est l’abréviation de Mercado Común del Sur (Marché commun du Sud). Ses membres sont l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay. Le Chili, la Bolivie, le Pérou, la Colombie, l’Équateur, la Guyane et le Suriname sont des États associés, et la Nouvelle-Zélande ainsi que le Mexique des États observateurs.
Le Mercosur vise un processus d’intégration économique et politique. Les États membres veulent un agrandissement des marchés nationaux, une intégration adéquate dans la structure internationale des grands blocs économiques, l’encouragement du développement scientifique et technique tout comme l’établissement d’une union toujours plus complète entre les peuples. Les moyens pour y parvenir:
- Libre circulation des marchandises
- Suppression des droits de douane (instauration d’un tarif extérieur commun)
- Définition d’une politique commerciale commune vis-à-vis d’États tiers
- Coordination des politiques macroéconomiques entre les États membres (entre autres, de la politique agricole)
- Accord des États membres pour harmoniser leur législation dans les domaines concernés
Les membres du Mercosur n’ont pas le droit de signer des accords de libre-échange bilatéraux avec des États tiers.
Le Mercosur et la Suisse
Parmi les États du Mercosur, le Brésil est le principal partenaire commercial de la Suisse: cultures céréalières et engraissement de porcs surtout dans le sud, production de viande bovine en grande partie dans le sud-est du pays.
En ce qui concerne les importations de viande des États du Mercosur, les blancs de poulet du Brésil arrivent en première position en termes de valeur, suivis de la viande de dinde. Vient ensuite en troisième position la viande bovine, avec l’Uruguay et le Paraguay comme principaux pays d’origine.
État des négociations
Les États de l’AELE (Association européenne de libre-échange entre la Suisse, la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande) et les États du Mercosur ont conclu en substance les négociations d’un accord de libre-échange le 23 août 2019 à Buenos Aires. Grâce à cet accord, environ 95 % des exportations suisses à destination des États du Mercosur que sont l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, et qui comptent au total 260 millions d’habitants, seront à moyen terme exonérées des droits de douane. De plus, des obstacles techniques au commerce seront supprimés, les fournisseurs de services suisses bénéficieront d’un accès facilité aux marchés, et les relations économiques bilatérales seront globalement renforcées.
Un accès largement ouvert à des produits industriels et certains produits agricoles suisses sur les marchés du Mercosur est l’un des éléments centraux de l’accord. En l’occurrence, un dialogue sur une filière agroalimentaire durable est prévu et l’accord renferme notamment des dispositions relatives à la protection du climat et à l’utilisation durable des ressources forestières.
Pour certains produits agricoles, la Suisse accorde pour la première fois des contingents bilatéraux en dehors de ses engagements OMC. Un dialogue avec les branches concernées a eu lieu dans ce but. Les concessions faites par la Suisse dans le secteur agricole correspondent en grande partie à une consolidation des importations actuelles issues des pays du Mercosur. C’est la raison pour laquelle le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) ne pense pas que l’accord conclu en substance entraînera beaucoup plus d’importations de ces produits depuis le Mercosur.
L’accord permet en outre d’éviter que les exportateurs suisses soient désavantagés par rapport à leurs concurrents de l’UE, qui a conclu un ALE avec les États du Mercosur en été 2019 . Mais la ratification se fait attendre et n'est actuellement pas sous une bonne étoile. Malgré de larges critiques, de dernières lueurs d'espoir sont certes encore visibles, mais dans l'ensemble, les développements actuels au sein de l'UE vont dans le sens d'un échec.
L’accord sera soumis au référendum facultatif.
Points critiqués
Concernant l’agriculture et l’économie de la viande suisses ainsi que les acquis de notre pays, Proviande est plutôt sceptique à l’idée d’une libéralisation car toute importation implique l’achat simultané des conditions de production correspondantes.
Protection des animaux
Les standards de production de la Suisse et des pays d’importation sont souvent très différents en ce qui concerne la protection des animaux. À l’étranger, on ne connaît par exemple aucun maximum en termes d’effectifs. Dans les exploitations paysannes avec des troupeaux de taille raisonnable comme en Suisse, le soin et l’observation des animaux sont garantis. En Amérique du Sud, en revanche, il n’existe pratiquement pas de prescriptions minimales concrètes et détaillées sur la protection des animaux dans les élevages.
La Suisse a limité la durée du trajet lors des transports d’animaux de boucherie à six heures (et à huit heures pour la durée de transport totale). Aucun autre pays, UE comprise, n’a fondamentalement ce genre de limitation. Dans ces régions, les chevaux, bovins, porcs, agneaux et veaux sont transportés parfois sur une journée entière voire plus, et la plupart du temps sans eau ni nourriture.
En tant qu’organisation internationale compétente pour la protection des animaux, l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) élabore des normes correspondantes. Tous les membres de l’OIE, donc également les États du Mercosur, doivent respecter les normes de cette dernière en matière de protection des animaux. Dans l’ébauche de l’accord de libre-échange avec le Mercosur, un dialogue autour du bien-être animal a également été prévu. Celui-ci prévoit un échange ainsi qu’une collaboration plus étroite avec les États du Mercosur de manière à atteindre une compréhension commune dans le domaine du bien-être animal et à pouvoir accroître la prise de conscience au sein de ses États. Cet échange doit améliorer, là où ceci s’avère nécessaire, l’approche réglementaire concernant le bien-être animal.
De plus, il convient de noter que dans les États du Mercosur, une grande partie de l’engraissement des bovins est basée sur l’engraissement au pâturage extensif. Les animaux grandissent donc en conformité avec les exigences des espèces. En fonction du pays d’origine, une partie des bovins est engraissée pendant les cent derniers jours dans ce que l’on appelle des «feedlots», avec un affouragement intensif.
Informations complémentaires:
Abattage
Comme le montre le scandale autour de l’hygiène des viandes qui a éclaté au Brésil en 2017, les contrôles des viandes ne sont pas toujours réalisés avec le sérieux nécessaire. Des rapports d’audit correspondants semblent indiquer que cela concerne également les abattoirs d’exportation. Certaines méthodes d’étourdissement interdites chez nous sont autorisées à l’étranger. Souvent, les fréquences d’étourdissement et d’abattage sont nettement plus élevées que dans notre pays. Ces fréquences rendent quasiment impossible un contrôle sérieux de la sécurité de l’étourdissement.
Tous les abattoirs étrangers à partir desquels sont exportés des produits vers la Suisse doivent être autorisés conformément aux directives suisses (et/ou de l’UE) et faire régulièrement l’objet d’audits portant sur les maladies transmissibles, l’hygiène et la protection des animaux. L’UE réalise régulièrement des audits de protection des animaux dans les pays qui fournissent de la viande à l’UE et à la Suisse. Des défauts sont constatés et des blocages de certaines exploitations ou du pays entier sont décidés le cas échéant.
La Suisse s’appuie sur ces audits. Les derniers rapports de l’UE sur les audits des abattoirs dans les États du Mercosur semblent indiquer que la protection des animaux dans les abattoirs est fondamentalement conforme aux directives de l’UE et de la Suisse. Tous les lots de denrées alimentaires d’origine animale depuis les États du Mercosur sont, conformément aux dispositions en vigueur, contrôlés par des vétérinaires de frontière au premier point d’entrée dans l’espace Suisse-UE.
Utilisation d’hormones de croissance et de stimulateurs de performance
En termes de protection des consommateurs, les différences entre la production indigène et les importations sont également considérables. L’utilisation d’hormones visant à obtenir de meilleurs rendements dans la détention animale notamment est déjà interdite depuis une trentaine d’années en Suisse, alors que des experts pensent que sur les quelque 11 millions de tonnes de US-Beef produites chaque année, au moins deux tiers contiennent des hormones ou des bêta-agonistes (p. ex. la ractopamine). Ces médicaments entraînent des performances non naturelles chez les animaux. Un tel surmenage est interdit par la loi fédérale sur la protection des animaux.
Conformément à l’ordonnance agricole sur la déclaration (OAgrD), il existe pour la viande importée notamment une obligation de déclarer les substances hormonales et non hormonales visant à obtenir de meilleurs rendements. La viande qui a été produite selon des directives de production interdites en Suisse doit être déclarée avec une mention correspondante lors de la remise aux consommatrices et aux consommateurs. Les consommateurs sont ainsi informés en toute transparence et peuvent décider librement des produits qu’ils veulent acheter. Les autorités cantonales chargées du contrôle des denrées alimentaires vérifient la déclaration correcte dans le commerce de détail et dans le secteur gastronomique selon les directives de la législation sur les denrées alimentaires. L’accord de libre-échange conclu en substance n’aurait aucune répercussion sur les dispositions légales dans l’ordonnance agricole sur la déclaration.
Aliments pour animaux issus de soja génétiquement modifié
Tandis que, pour des raisons de protection des consommateurs, la Suisse exclut toute culture et tout affouragement à base de plantes génétiquement modifiées telles que le soja ou le maïs, la majeure partie des animaux de rente détenus dans le cadre de la production intensive mondiale sont nourris avec des aliments concentrés génétiquement modifiés. Ainsi, près de 100 % du soja produits en Argentine et au Brésil sont issus de cultures génétiquement modifiées et sont ensuite donnés aux animaux de rente d’Amérique du Sud et de l’UE, dont les produits sont importés en Suisse.
Les importations d’aliments pour animaux à base de soja du Brésil ont diminué depuis 2014. Tandis qu’il y a quelques années, 70 % des importations provenaient encore des États du Mercosur, celles-ci n’étaient plus que 38 % en 2018 car les importateurs privilégient aujourd’hui des produits européens. Selon le DEFR, l’accord de libre-échange n’augmenterait pas l’attractivité économique des aliments pour animaux à base de soja puisqu’aujourd’hui déjà, aucun droit de douane n’est perçu sur les tourteaux de soja. Par ailleurs, le soja importé actuellement depuis les États du Mercosur est exclusivement du soja non génétiquement modifié, et ces importations remplissent les critères de durabilité fixés par la filière suisse (Réseau suisse pour le soja).
Production durable
L’agriculture dans le Mercosur est nettement moins durable qu’en Suisse (destruction de la forêt tropicale, plantes de soja génétiquement modifiées, utilisation massive de produits agrochimiques dans les monocultures).
Le possible impact environnemental de l’accord de libre-échange conclu en substance est en cours d’évaluation dans le cadre d’une étude externe. Les résultats seront vraisemblablement publiés au quatrième trimestre 2020. De plus, une étude de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) sur le possible impact environnemental de divers scénarios théoriques d’ouverture du marché dans le domaine agricole, dont un scénario Mercosur, a été publiée en juin 2019. Cette étude a été réalisée en collaboration avec le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) et l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). La question des droits de la population indigène faisait partie intégrante des négociations de libre-échange, notamment au regard des dispositions sur la gestion durable des ressources forestières au chapitre «Commerce et développement durable». Selon le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), ces dispositions prévoient notamment l’adhésion préalable de la population indigène à une gestion des forêts, dont elle a besoin pour satisfaire ses besoins fondamentaux.